Entretien vidéo d'Erik Orsenna

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Erik Orsenna n'a rien perdu de son appétit de comprendre le monde. Écrivain, académicien, ancien conseiller d'État, il se définit avant tout comme un explorateur et un professeur. Pas le genre de professeur qui délivre des vérités toutes faites depuis son estrade, mais celui qui apprend autant qu'il transmet.

Dans cet entretien, l'intervenant Erik Orsenna nous entraîne dans son univers où tout est lié : l'eau et le cerveau, la lecture et la liberté, les langues et la biodiversité, le logement et le développement de l'enfant.

Transcription de l’échange

 

Alice Darfeuille :

Aujourd'hui, nous avons le plaisir de recevoir le conférencier Erik Orsenna, écrivain, membre de l'Académie française, économiste de formation, ancien conseiller culturel et conseiller d'État, prix Goncourt en 1988. Erik Orsenna est également ambassadeur de l'Institut Pasteur. Il a écrit de nombreux essais et ouvrages. Il se définit comme un explorateur et raconte, ces dernières années, la mondialisation à travers des sujets précis comme la problématique de l'eau ou du coton. Erik Orsenna est aussi un excellent orateur. Nous allons parler avec lui des conférences qu'il donne et comprendre pourquoi c'est important selon lui. Bonjour Erik Orsenna, très heureuse de vous avoir avec nous aujourd'hui. Commençons par ces conférences que vous donnez. Sur quels sujets parlez-vous ?

 

Erik Orsenna : 

J'ai toujours, depuis l'enfance, voulu comprendre comment ça marche. Ma formation de base, je l'ai choisie au moment de l'indépendance des pays du Sud. Je me suis dit : je vais choisir comme objet d'étude les matières premières, en me disant que si ces pays réussissent à bien gérer les trésors qui sont dans ou sur leur sol, ça se passera bien pour eux. Ce n'était pas du tout à la mode, mais j'ai travaillé sur les matières premières. Ces questions sont maintenant clés parce qu'elles gèrent le développement. On commence à parler énormément de l'eau, alors que quand j'ai travaillé sur l'eau il y a 25 ans, on m'a dit qu'en Europe, ça ne nous concernerait pas parce que nous sommes une région tempérée. Vous voyez que se succèdent les sécheresses et les inondations. Vous voyez que les questions minières sont très importantes pour notre souveraineté, notamment des terres rares. Il y a aussi des questions de gouvernance : comment on gère l'eau ? L'eau, c'est le miroir de nos sociétés. Dites-moi quel est le prix de l'eau, produite par qui, au bénéfice de qui et avec quels conflits qui peuvent éclater à tout moment, je vous dirai exactement à quelle société vous appartenez. 

J'essaie aussi de comprendre d'autres mécanismes qui sont les mécanismes des langues. On dit que les oiseaux disparaissent et c'est vrai, c'est terrible, mais les langues aussi disparaissent. Quand une langue disparaît, ce ne sont pas seulement des mots qui disparaissent, mais c'est une vision du monde, ce sont des fenêtres ouvertes sur le monde qui disparaissent, donc la vision se rétrécit.

J'ai eu cette chance formidable d'avoir été prof d'économie, conseiller du ministre de la coopération en charge de toutes les matières premières de son secteur – le café, le cacao, mais aussi l'uranium. J'étais conseiller culturel du président de la République François Mitterrand, donc ce sont les grands travaux, en lien avec la musique. Puis j'étais magistrat au Conseil d'État. Tous ces points de vue sur la société... Comme la société est complètement bouleversée, je peux intervenir, essayer de donner mon expérience concrète d'utilisateur. Par exemple, sur la lecture qui m'a nourri, qui m'a créé. J'ai été avec Jacques Attali, le créateur en France de la première tablette de lecture électronique. Cette idée, c'est que la vie est un cadeau. Allons au bout de ce cadeau, essayons de réfléchir comment nos sociétés pourraient s'approcher non pas du bonheur, mais au moins d'un certain apaisement.

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Alice Darfeuille : 

Le fait de parler de ces sujets qui vous intéressent depuis un certain temps, qu'est-ce que ça vous apporte ? C'est l'idée de transmettre, d'instruire ?

 

Erik Orsenna : 

Sur ma tombe, il y aura "prof". Un prof apprend de deux manières : il apprend à quelqu'un et il apprend lui-même. Un prof qui ne fait qu'apprendre à quelqu'un n'est pas un prof, c'est un rentier de lui-même. Alors qu'un prof qui apprend sans arrêt pour apprendre aux autres... Vous êtes obligé d'apprendre vous-même. 

Il m'arrive de donner des conférences, ça me passionne, mais la plupart du temps j'essaye d'arriver avant la conférence, d'écouter tout ce qui s'est dit avant. Je ne suis pas le petit mec qu'on a vu à la télé et qui dit "voilà, je vais vous dire la vérité". Pas du tout. Je ne suis pas dans le commentaire. J'essaie d'être sur le terrain. C'est pour ça que les livres que j'ai écrits sur la mondialisation, je les ai faits sur le terrain. Pas juste des commentaires comme on voit parfois sur certaines chaînes de télévision où on enchaîne les commentaires sans aucune sorte de compétence ni de légitimité. Ils sont des perroquets.

J'essaie à chaque fois d'aller écouter les gens : quel est votre point de vue ? Parce que moi, en fait, je suis un reporter manqué. Quand j'étais petit, je voulais être Tintin. Dans les années 1930, j'aurais été un des grands reporters du coin, les Kessel, les Albert Londres. Mais j'ai cette chance d'avoir des lecteurs. Ce sont les lecteurs qui financent mes voyages. Puis ce sont mes auditeurs qui financent mes enquêtes. C'est une boucle d'apprentissage et de savoir. Pour moi, le savoir est une fête. Quand on voit le président actuel des États-Unis qui se vante de n'avoir pas lu un livre de sa vie, ça se voit.

 

Alice Darfeuille : 

Vous dites que si on ne lit pas, on va tous finir comme des petits Trump ?

 

Erik Orsenna : 

Exactement, c'est ce qui se passe parce que qu'est-ce que c'est la lecture ? Qu'est-ce que c'est que le savoir ? C'est s'agrandir soi-même. On est petit au départ, puis brutalement on s'étend, on se grandit. La lecture, c'est l'amitié de la vie. Grâce à un ami, j'ai été avec Prost, champion du monde de formule un, avec Tabarly que j'ai un peu connu, immense marin, avec d'immenses écrivains prix Nobel de littérature. Grâce à l'amitié, grâce à la lecture, on est plus que sa petite personne. Comment les gens se résignent à n'être qu'eux-mêmes ? C'est terrible de n'être que soi-même. En plus, ils sont fiers de ça et ils sont rentiers d'eux-mêmes.

Pour être très franc, je déteste la rente. J'aime la remise en cause, l'apprentissage, le risque et le mérite. Le vrai mérite. Pas juste être gestionnaire de l'héritage qu'on a reçu. Il y a un grand problème d'héritage. Par exemple, une conférence sur l'héritage, j'y viens à toute vitesse, non pas pour dire "voilà la vérité", mais pour discuter. Quand vous voyez des gens qui disent "nous sommes pour le renouvellement de toutes les valeurs", mais qui ne remettent pas en cause le fait qu'à l'École polytechnique, 80% des élèves sont des enfants de profs ou des classes supérieures. Vous ne trouvez pas que c'est injuste et que c'est un gâchis ? Dès que ça dérange, j'y vais.

 

Alice Darfeuille : 

Comment vous préparez-vous pour ces conférences ? Parce que ce n'est pas forcément naturel de bien s'exprimer. Est-ce que vous pensez qu'aujourd'hui vous parlez bien parce que vous avez beaucoup écrit ?

 

Erik Orsenna :

Sur les thèmes, je ne prends jamais de thème sur lequel je ne connais rien, à l'inverse d'autres. Ça veut dire que j'ai travaillé pendant longtemps, mais surtout j'ai rencontré, j'ai rencontré par le livre, mais aussi en y étant, en allant sur place. À ce jour, j'ai été dans 109 pays. Pourquoi ? Grâce à mes éditeurs, mais aussi grâce à mes auditeurs. Comme on sait bien, les journaux n'ont pas d'argent pour payer des reporters comme avant. Ce sont les gens qui vous lisent ou vous écoutent qui me permettent de partir. Non pas 15 jours avec la phrase bien connue "coco, tu vas me rapporter du lourd", pas du tout, je pars 2 ans, je pars 3 ans et quand je reviens, c'est pour repartir parce que souvent on me donne des questions.

Par exemple, je ne connaissais pas les questions du logement. Il se trouve que je connais bien les questions d'agriculture. Je me suis rendu compte qu'en 20 ans, la part du budget réservée à l'alimentation est passée de 25% à 11%. Pourquoi ? À cause du logement. Je me suis dit : je vais travailler sur le logement. J'ai été avec des gens qui étaient spécialistes. La crise du logement, elle est clé, mais je relie ça avec l'évolution du budget.

Si j'ai peut-être un intérêt particulier, c'est que je vois le lien entre les choses et pourquoi j'aime tant l'eau, parce que l'eau c'est le lien. Si vous n'avez pas d'eau, vous pouvez avoir à l'intérieur de la cellule une petite machine et puis une autre et des nutriments, mais il n'y a pas de lien, il n'y a pas d'eau. C'est ça le lien.

Je n'aime pas les idées générales du tout, mais la culture générale oui. C'est pour ça que j'aime aussi tant la médecine, parce que j'aime tant la vie. Je discute souvent avec les médecins. J'ai l'honneur de bientôt faire une grande conférence à l'Institut du cerveau et de la moelle. Sur quel sujet ? Sur l'eau, parce que s'il n'y a pas d'eau, il n'y a pas de vie, mais s'il n'y a pas de liquide céphalo-rachidien, il n'y a pas de cerveau. Le cerveau baigne dans un liquide qui le protège et qui le nourrit. C'est la vie, c'est une grande allégorie.

Évidemment, il faut que vous soyez généraliste. Regardez ce qui se passe avec la médecine. Quand on dit que la médecine générale est devenue une spécialité, on devient fou. Vous avez un spécialiste du genou gauche qui ne sait pas pourquoi vous avez de l'arthrose et qui ne connaît rien du genou droit, ce n'est pas possible. On dit "touche-à-tout", mais quand on me dit ça, je les emmerde parce que c'est la vie qui touche à tout. La vie n'est pas spécialiste d'une chose, c'est ce grand mouvement, ce grand cadeau, cette grande menace qui s'appelle la vie.

 

Alice Darfeuille :

C'est intéressant cette volonté de mettre un lien entre chaque sujet.

 

Erik Orsenna :

Le lien. Moi, je suis le lien. J'ai conclu mon discours d'entrée à l'Académie française où j'étais le successeur direct de Cousteau. Je succédais à Jacques-Yves Cousteau. J'ai conclu sur ces deux mots : religare, recueillir et relier. C'est ça ma vie, essayer de les mettre ensemble au lieu de séparer et d'être le champion du monde du millimètre carré.

 

Alice Darfeuille :

Comment vous préparez-vous pour ces conférences ? Vous n'avez plus jamais le trac ?

 

Erik Orsenna :

Vous êtes nourri par ceux qui vous écoutent. Comprenez que je fais aussi des spectacles avec beaucoup de grands musiciens : William Christie, Paul Agnew, Henri Demarquette au violoncelle. Vous êtes porté, vous n'êtes pas seul, l'énergie que vous donnez, elle vous est renvoyée en boomerang au centuple. Même le silence. Vous sentez le silence quand vous êtes prof. Je me souviens de mon premier cours en amphi en tant que chargé de cours en économie, on vous donne le truc pourri : les cours d'économie pour les juristes, donc ils n'en ont rien à faire. J'étais face à 700 étudiants, il fallait les tenir, les petits loups. Au début, j'étais mort de trac en allant à Rouen, où c'était l'endroit où j'enseignais. Puis petit à petit, c'est venu et maintenant au contraire.

Pour préparer mes conférences, je prends des repères, des balises, je prends 10 mots et puis après je me lance parce qu'il faut des risques, comme en amour. Celui qui ne risque pas, celui dont le cœur ne bat pas quand il monte l'escalier, qu'il redescende et reparte de chez lui.

 

Alice Darfeuille :

C'est frappant à quel point on sent que vous aimez discuter, échanger, rencontrer les gens. Est-ce que lorsque vous écrivez, pour vous, c'est un moment d'isolement ? Est-ce que vous avez besoin de vous isoler pour écrire ?

 

Erik Orsenna :

L'écriture pour moi, c'est l'élément de solitude, mais pas vraiment de solitude puisque c'est toujours la même chose depuis que j'ai 8 ans : c'est la continuation de la nuit.

 

Alice Darfeuille :

Pourquoi vous avez commencé à 8 ans ? Comment avez-vous commencé ?

 

Erik Orsenna :

Pour une raison très simple : j'ai cette chance immense d'avoir des parents et des grands-parents qui m'ont raconté des histoires. Ma mère aimait les rois et les reines, donc elle était royaliste. Mon père était marin, donc il me racontait des histoires de sous-marins, de pirates. Mon grand-père était d'origine cubaine. Ma grand-mère était lyonnaise, me racontait des histoires de cuisine, donc de géographie. À 8 ans, ils m'ont dit : "On n'a plus d'histoire. Comme tu détestes qu'on répète, tu as deux solutions : soit tu vas lire comme un fou et soit tu vas écrire toi-même, tu vas inventer." J'ai inventé et au même moment, mon père m'apprenait à faire du bateau dans l'île de Bréhat. 

Pour moi, écrire et naviguer, c'est la même chose pour une raison très simple : sur la page blanche comme sur la mer, sur l'eau douce ou salée, il n'y a pas de chemin, il faut inventer son chemin. J'ai écrit et j'étais seul sur un bateau à voile à 8 ans et j'ai écrit mon premier roman, mini roman bien sûr, j'avais 9 ans.

 

Alice Darfeuille :

Vous vous souvenez du premier livre que vous avez lu ?

 

Erik Orsenna :

Les premiers vrais livres que j'ai lus, ce sont les Tintin. Je voulais devenir Tintin. Et je suis maintenant une sorte de mélange de Tintin et Tournesol.

 

Alice Darfeuille :

Quand vous écrivez aujourd'hui, est-ce toujours quelque chose de très réfléchi ? Ou est-ce que l’inspiration peut vous venir d'un coup ?

Erik Orsenna :

Je n’arrive à écrire que le matin, jamais en journée. Par exemple, ce matin, j'ai eu une idée formidable sur la logistique de la drogue de l'Afrique de l'Ouest dans l'Europe de l'Ouest. J'ai trouvé le petit personnage qu'il me manquait pour un roman : un méchant. 

Je suis en plein dans un roman où je raconte le fleuve Niger. D'ailleurs, je ne suis pas un être humain, je suis un personnage d'un fleuve. Il me fallait un méchant et je l’ai trouvé ce matin.

 

Alice Darfeuille :

Cela pourrait être aussi une bonne idée de reportage.

 

Erik Orsenna :

J'ai déjà réalisé 10 reportages sur le fleuve Niger. Honnêtement, je suis reporter. Le lien, le réel est toujours là et le réel, ce n'est pas un truc que j'ai dans la tête aussi, c'est que souvent mes conférences sont des rebonds de ce que j'ai écouté. Vous avez dit ça, ça veut dire quoi ? C'est pour ça que j'aime bien les conférences. Mais encore une fois, quand la conférence est liée à l'échange qu'il y a eu dans la société avant la conférence. C'est ça l'idée : participer vraiment à cette exploration en commun.

À l'âge avancé que j'ai, je me suis dit quelle est au fond la morale de ma vie : c'est très simple, c'est l'humilité, on n'est pas plus fort qu'une tempête. La détermination, ce n'est pas parce qu'il y a du baston qu'on ne va pas sortir et surtout l'esprit d'équipage. Je ne suis rien sans mes amis et l'équipage, c'est ça. Quand vous êtes dans une entreprise, dans une réunion de toutes sortes, quand vous avez discuté, quand vous avez entendu ce qu'ils disaient, quand vous avez assisté à 234 tables rondes, on est ensemble et on essaie de trouver quelle est la solution ?

J'ai des souvenirs de conférences où j'ai enchaîné devant 1000 ingénieurs qui avaient parlé toute la journée. C'étaient les responsables d'EDF chargés du nouveau nucléaire. C'est formidable. Deux questions auxquelles on a réfléchi ensemble. Ma conférence, c'était une réflexion commune avec ce qu'ils avaient dit, un rebond : c'est quoi un ingénieur ? C'est quoi un service public ? Et j'ai rajouté : c'est quoi l'énergie ? Il y avait du boulot.

Ça veut dire quoi le logement aussi, je reviens à cette question clé, étant donné la crise actuelle très grave et source de formidables inégalités. J'ai appris récemment, la semaine dernière, grâce à un neurologue, que le développement du cerveau d'un enfant de 3-4 ans est directement lié à toutes sortes de facteurs, notamment à la qualité du sommeil, donc à la qualité du logement des parents. À ce moment-là, ça se retrouve dans des moindres développements pour ceux qui n'ont pas pu offrir à leurs enfants des qualités de sommeil.

C'est toujours du rebond, ce n'est jamais "je balance ma sauce en disant je connais". Je déteste arriver juste et puis repartir, ce n'est pas moi. Si jamais vous voulez quelqu'un qui arrive juste à l'heure, bien sûr, c'est la moindre des politesses, et qui repart... L'idée, c'est d'agrandir mon savoir à moi, je veux apprendre pour transmettre.

 

Alice Darfeuille :

Quand vous entendez le débat public actuel, est-ce que vous trouvez qu'on parle assez de ces sujets qui vous tiennent tant à cœur et qui sont si importants : l'eau, le coton, le logement ? Est-ce que vous trouvez qu'en ce moment en particulier, ce sont des thématiques qu'on a un peu reléguées au second plan ?

 

Erik Orsenna :

Votre question est ô combien pertinente : comme d'habitude on parle des conséquences, des symptômes et pas des causes. L'idée, c'est d'aller voir ce qui est en train de se passer dans nos sociétés ? La progression très forte de l'inégalité alors qu'on s'endette follement. C'est une question centrale.

J'ai vécu ça avec l'eau. Quand j'ai fait il y a près de 20 ans maintenant mon premier livre sur l'eau, c'était "L'avenir de l'eau". On m'a dit : "C'est très intéressant, mais ça ne nous concerne pas."

 

Alice Darfeuille :

Il y a 20 ans.

 

Erik Orsenna :

Oui, ça ne nous concerne pas. Puis regardez ce qui s'est passé et je me suis dit : tiens, c'est intéressant. J'ai repris ma casquette. C'est pour ça que je croise sans arrêt ma casquette d'économiste, de prof d'économie et de romancier. Je me suis dit : tiens, pourquoi on ne parle pas d'eau ? Parce que l'eau, c'est une matière et une matière, de fait, on s'en fout. Alors qu'une rivière ou un fleuve, c'est un être vivant. Si on parle d'un être vivant, ça change complètement. On voit dans un couple, en dire "j'ai quelque chose d'important à te dire", c'est mal barré ou en dire "tu m'as ému". Là, évidemment, on écoute donc toujours mettre la vie au lieu de la mort. Je suis frappé de voir cette chose : les gens disent qu'ils ont peur de la mort, pas du tout, c'est de la vie dont ils ont peur.

 

Alice Darfeuille :

Donc c'est pour ça que vous essayez de parler de ces sujets-là, de cette manière-là, et vous sentez qu'effectivement les gens sont plus attentifs, plus sensibles ?

 

Erik Orsenna :

Sans comparaison. Je lance une opération "Adopte ta rivière ", ça va être suivi par des milliers de classes. Mes enfants, ils ne voulaient pas lire parce qu'ils disaient : "Papa, si tu penses une seconde qu'on aura ta vie pourrie d'écrivain, on ne veut pas." Je leur ai dit : très bien, je vais faire un petit conte. J'ai écrit "La grammaire" et mon éditeur m'a dit : s'il y a une chose qu'on connaît dans l'édition où il n'y a aucune règle, c'est que si on met grammaire, on ne vend pas un livre." J'ai dit très bien, j'ai appelé mon pote Henri Salvador, le chanteur, et je lui ai dit : "Est-ce que tu me permets de mettre chanson douce ?" "La grammaire est une chanson douce". Les 5 tomes des grammaires où je raconte un conte où je donne la langue française comme un être vivant, c'est plus d'un million, quasiment maintenant un million et demi d'exemplaires dans toutes les classes. S'il y a vraiment une fierté que j'ai, c'est un petit gamin qui dit : "Merci Monsieur, grâce à toi j'aime lire", ça vaut tout.

 

Alice Darfeuille :

On a l'impression que tout vous intéresse.

 

Erik Orsenna :

La vie, la vie m’intéresse.

 

Alice Darfeuille :

Est-ce qu'il y a des choses qui vous ennuient ?

 

Erik Orsenna :

L'ennui.

 

Alice Darfeuille :

Est-ce qu'il y a un sujet sur lequel vous n'avez jamais donné de conférence, sur lequel vous aimeriez vous exprimer ? Un sujet dont on ne parle pas assez.

 

Erik Orsenna :

Mars. Parce que je voudrais vraiment que Musk aille sur Mars avec Trump et avec 2-3 copains et qu'ils y restent vraiment. Comment imaginer une seconde quand on a la chance d'avoir cette merveille de planète ? Et qu'on la tue évidemment, on la tue alors qu'il y a des solutions pour la sauver. Il y a plein de solutions. Je suis un explorateur des solutions, c'est-à-dire pour moi c'est le possible. Je me sens un mini chevalier du possible, c'est pour ça que j'aime les entrepreneurs, parce qu'ils sont dans le possible. Mais quand on pense qu'on peut saloper ça et qu'on va sur un caillou à des années-lumière, qu'ils y aillent et qu'ils nous laissent peinards.

 

Alice Darfeuille :

Vous croyez à la vie sur d'autres planètes ?

 

Erik Orsenna :

Oui, mais tellement loin, dans tellement longtemps, pourquoi pas. "Pourquoi pas", c'est le nom d'un bateau et "pourquoi pas", c'est le nom de ma vie.

 

Alice Darfeuille :

Ce que vous dites, c'est que vous y croyez, et qu'il ne faut pas forcément chercher davantage.

 

Erik Orsenna :

Il y a cette phrase, c'est la caricature de certains comportements conjugaux : "elle est belle comme la femme d'un autre". Mais regarde la tienne d'abord.

 

Alice Darfeuille :

Oui, concentrons-nous sur notre planète et prenons-en soin. C'est ce que vous dites ?

 

Erik Orsenna :

Exactement, take care.

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Alice Darfeuille :

Mais alors, comment il faudrait faire pour que les gens soient plus sensibles aux conséquences du réchauffement climatique ? Parce qu'on a quand même le sentiment qu'aujourd'hui les responsables politiques ne font même plus semblant de parler d'écologie.

 

Erik Orsenna :

J'ai une mini solution : passer par les enfants. C'est pour ça que je lance cette opération "adopte ta rivière", c'est pour ça que je vais continuer là-dessus, être un conteur en disant "ça papa, tu n'as pas le droit de faire ça, papa, fais gaffe aux oiseaux, papa fait gaffe, qu'est-ce que c'est que la nourriture que tu donnes, qu'est-ce qu'on fait, pourquoi du carton plutôt que du plastique, pourquoi ce genre de choses ?" Avec la crainte qu'on peut avoir en étant père ou grand-père : quelle planète salopée on va leur léguer ? Mais tout ça parce qu'il y a des solutions. 

 

Alice Darfeuille :

Vous n'êtes pas un pessimiste ?

 

Erik Orsenna :

Non. J'aime cette définition de l'optimiste : c'est quelqu'un de mal informé. Il se trouve que je suis très bien informé, donc a priori je devrais l'être... Mais non, parce qu'il y a des solutions. Prenons l'exemple de la Chine qui vit une contradiction : elle continue comme aucun autre pays à développer les énergies fossiles. En même temps, regardez ce qu'elle a fait sur la voiture électrique en cinq ans, elle nous a complètement dépassés et ce sera pareil avec toutes les énergies renouvelables. Donc c'est possible, à condition qu'il y ait du savoir. Ceux qui abandonnent le savoir sont condamnés. Les États-Unis vont dégringoler et la Chine va remonter.

 

Alice Darfeuille

C'est comme ça que vous voyez les prochaines années ?

Erik Orsenna

C'est une possibilité s'il n'y a pas un changement. Le savoir, c'est clé. Quand vous voyez un ministre américain qui porte le nom de Kennedy, ministre de la santé, et qui est contre les vaccins... Ce pays-là est condamné.

Alice Darfeuille

Vous êtes très inquiet de cette administration américaine ?

Erik Orsenna

C'est au-delà de tout ce qu'on peut imaginer. Le président français avait récemment proposé une possibilité d'accueil pour tous les scientifiques américains. On est le pays de Pasteur, le pays qui a découvert les responsables de ces maladies infectieuses.

Alice Darfeuille

Il a raison, le président français, de leur dire "Venez" ?

Erik Orsenna

Oui, mais on n'a pas les moyens de faire ça seuls. Heureusement, il y avait la présidente de la Commission européenne, c'est évidemment européen. Parmi les livres que j'ai écrits, il y en a un qui m'a passionné : j'ai passé deux ans d'usine en usine chez Airbus pour voir comment on fabriquait ces avions. S'il n'y avait pas eu l'Europe, il n'y aurait que Boeing et les Chinois. Pour moi, l'Europe c'est Airbus et Erasmus : la possibilité pour les jeunes de voir ce qu'est l'Europe, leur terrain de jeu. C'est notre espace, et Dieu sait si je suis français.

Alice Darfeuille

Quel est votre prochain voyage ?

Erik Orsenna

Le Brésil. Il y a la COP qui va se réunir à Belém. C'est un endroit que je connais bien puisqu'une grande partie de ma famille est brésilienne et que le livre qui a eu le Goncourt parlait de l'Amazonie. C'est l'embouchure de l'Amazone. Je vais en profiter pour aller à l'Institut Pasteur de Guyane qui est à l'avant-garde des recherches sur les maladies infectieuses.

Alice Darfeuille

Vous voyagez beaucoup, vous avez visité une centaine de pays. Quel est l'endroit où vous vous sentez le mieux, au-delà de la France ?

Erik Orsenna

J'ai un petit problème dans la vie qui rend ma vie personnelle un peu compliquée : j'ai des difficultés avec la préférence.

Alice Darfeuille

C'est vrai ?

Erik Orsenna

J'aime trop.

Alice Darfeuille

Dernière question - ce n'est pas vraiment une question d'ailleurs. En vous écoutant, on a parfois l'impression que vous rappez un peu en vous exprimant. J'ai cru comprendre que vous adorez le rap, que vous en écoutez beaucoup.

Erik Orsenna

[en rappant] Parce que j'aime la cadence. Quand tu me poses une question, je repars, je m'envole, je reprends et je rebondis. C'est comme ça. On va se revoir parce que c'est fini, on ne va pas s'arrêter là, ce serait trop bête, trop gâchis. À bientôt !

Alice Darfeuille

Vous rappez tellement bien, on va s'arrêter là-dessus. Merci Erik Orsenna.

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