
- Philippe Dessertine
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Médecin et ancien ministre français, le conférencier scientifique Olivier Véran revient sur la gestion de la pandémie COVID-19 et ses répercussions personnelles et collectives. Dans cet échange intimiste, il évoque les défis de la prise de décision en temps de crise, l'apprentissage sur le terrain et l'impact psychologique de cette période exceptionnelle.
Christophe Mouton :
Bonjour à toutes et à tous, nous sommes très heureux de vous accueillir ici à Paris Santé campus, un lieu particulier qui résonne fort pour notre invité aujourd'hui Olivier Véran, ancien ministre de la santé et de la solidarité. Merci d'être là. C'est une date anniversaire, tristement anniversaire puisque les 5 ans du COVID, les 5 ans du confinement. Vous avez tissé pendant cette période un lien particulier avec les Français en tant que ministre de la santé. La première question qu'on a envie de vous poser, tout simplement, c'est : comment allez-vous ?
Olivier Véran :
Ça va très bien, merci. Un copain me demandait récemment : "Ça te paraît-il y a longtemps ou ça te paraît hier ?" Et en fait, c'est les deux. Je pense que c'est la même chose pour beaucoup de Français qui se souviennent du confinement avec une intensité forte, parfois avec des souvenirs très durs - beaucoup ont perdu des proches, beaucoup ont eu très peur, beaucoup ont eu leur vie transformée. Parfois aussi avec un souvenir plus nostalgique, car c'était une période extraordinaire où nos vies ont changé. Les gens ont changé de perspective sur leur rapport au travail, à la famille, aux activités.
Personne n'est sorti indemne de cette période. Il a fallu du temps pour chacun se reconstruise. On n'a jamais eu cette demande de résilience collective. C'est un moment de commémoration - pas de célébration - pour se souvenir des personnes qui ont donné leur vie, des soignants de première ligne qui sont restés en poste pendant toute la pandémie, mais aussi de toutes ces personnes qui ont traversé des drames personnels. La difficulté à enterrer ses proches entourés de sa famille, les difficultés à aller voir un grand-père en EHPAD ou un proche à l'hôpital.
Tout cela n'est pas totalement soldé. 5 ans après, c'est un moment où les gens se retournent pour regarder derrière eux, mais c'est aussi un moment où ils se disent qu'il y a quelque chose qui reste peut-être à accomplir.
Christophe Mouton :
Cette période nous a tous changés. J'imagine que vous qui étiez aux manettes dans ce moment exceptionnel d'exigence, elle vous a aussi changé. Quelle est la différence entre l'Olivier Véran d'aujourd'hui et celui d'avant le COVID ?
Olivier Véran :
Il m'a fallu du temps pour faire ce bilan. Quand j'avais quitté le ministère de la santé en 2022, j'ai enchaîné avec la campagne présidentielle, législative où j'ai été réélu, puis un nouveau ministère en charge de la démocratie et porte-parole du gouvernement. J'étais encore dans une autre forme de lessiveuse. Il n'y a pas le même stress quand vous êtes obligé au quotidien de prendre 50 décisions qui vont avoir un impact sur des millions de vies, mais j'avais pas pris le temps de me retourner pour faire ce bilan, y compris à titre personnel.
Vous ne parlez pas de vous quand vous êtes ministre, c'est normal. Quand vous gérez une crise, vous parlez des autres, de vos équipes, de ceux qui agissent. Votre situation personnelle n'apporte pas ou apporte peu. Il m'a fallu du temps et j'ai ressenti le besoin de quitter le domaine public, de quitter la politique pour pouvoir me reconstruire différemment.
L'énergie que vous déployez, l'excitation que peut revêtir la gestion d'une crise, de se lever tous les matins en se disant qu'il y a 10 000 choses que vous devez absolument réaliser qui ont un impact majeur sur la vie des gens... Il faut se réinventer. Quand vous avez 40 ans, que vous avez vécu ça, qu'est-ce qui fait que vous vous réveillez le matin avec encore un peu d'excitation, peut-être un peu d'euphorie au moment d'aller au travail ? C'est ce que j'ai entrepris de faire avec cette nouvelle activité tournée vers l'innovation en santé qui aujourd'hui remplit mes journées et me remplit de bonheur.
Christophe Mouton :
Vous venez de nous le dire : vous preniez dans cette période COVID 50 décisions par jour, période d'incertitude, d'exigence. Est-ce qu'il y a qui se dégage de ça une "méthode Véran" ?
Olivier Véran :
Pas de méthode Véran, je n'aurais pas la prétention d'avoir une méthode. En tout cas, il y a un apprentissage qui se fait dans la crise. La particularité de ce que j'ai vécu, c'est que je suis nommé au ministère le 16 février - la date anniversaire de mon papa d'ailleurs - et une semaine plus tard ça explose. Cela veut dire que vous n'avez pas de temps pour vous acclimater.
Or, prendre les commandes d'un ministère qui gère 700 milliards d'euros de budget par an avec des dizaines de milliers d'opérateurs dans les régions et 2 millions de professionnels de santé plus 1 million dans le monde de la solidarité, ça nécessite normalement un peu de temps d'acclimatation. Ce n'est pas quelque chose que vous apprenez à l'école, ce n'est pas instinctif. Je suis médecin, j'ai géré des malades, j'ai géré des unités en centre hospitalier universitaire, j'ai été député donc je connais ces deux mondes, mais les réunir avec la nécessité de prendre autant de décisions nécessite quand même un peu de temps.
Je n'ai pas eu le temps de m'acclimater, mais du coup je n'ai pas eu le temps de m'apitoyer ni de douter. En médecine, on a une qualité particulière : on sait prendre des décisions. Quand vous êtes au lit d'un malade qui va mal, vous allez devoir décider même si vous avez des doutes, vous allez devoir expliquer ces décisions et ensuite vous allez devoir les assumer.
S'il y avait une méthode, je dirais que c'est dans la crise : avoir su prendre les décisions, les expliquer - les nombreuses conférences de presse, on a innové pour montrer aux Français le sens de nos décisions, ce qu'on appelle en médecine une information claire, loyale, appropriée. On vérifie que les gens ont compris, qu'ils se sont approprié l'information et que vous avez donné tout ce qu'il fallait donner - puis ensuite assumer ces décisions.
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Christophe Mouton :
Vous allez témoigner de cette expérience, vous avez écrit un livre, puis aujourd'hui vous le partagez, vous le transmettez. La gestion de crise, ça s'apprend ?
Olivier Véran :
Ça s'apprend sur le tas. Par définition, une crise, c'est quelque chose qu'on n'a pas pu éviter. Si vous avez pu éviter une crise, ce n'est plus une crise. Quand une crise arrive, c'est qu'elle a dépassé vos défenses, elle a dépassé vos capacités à vous adapter. Elle va remettre en question tout ce que vous connaissiez : le fonctionnement normal d'une administration au niveau central, à l'État, au niveau régional, le fonctionnement normal d'une communication, le fonctionnement normal d'un quotidien, d'un pilotage. Tout cela est perturbé et vole en éclats.
Quand vous faites face à une crise, vous devez en permanence anticiper, vous adapter, décider, expliquer et assumer. Il a fallu revisiter les modèles de gestion. Si vous faites le parallèle avec une entreprise : imaginez que vous êtes nommé patron d'une grosse boîte avec des milliers de salariés, vous êtes naturellement exposé par vos fonctions, par la nature des missions de votre entreprise, et il vous arrive le pire truc, la pire chose que vous puissiez imaginer. Comment allez-vous réagir ?
Vous ne pouvez pas conserver votre conseil d'administration classique, vos processus classiques de décision. Vous ne pouvez pas vous donner rendez-vous dans trois semaines ou dans un mois. Vous n'allez pas prendre le temps de rédiger des comptes-rendus détaillés de toutes les décisions et de toutes les réunions. Vous allez devoir décider, vous reposer sur des personnes de confiance - identifier des personnes sur lesquelles vous pouvez vous appuyer, à qui vous pouvez déléguer, c'est fondamental - et revisiter tous les mécanismes de gouvernance.
Vous allez aussi devoir apprendre à communiquer. Une mauvaise communication dans une crise, quelle que soit la manière dont vous allez gérer la crise, c'est une mauvaise gestion de crise. Si les gens ne vous font pas confiance, si les gens ont peur et si la peur l'emporte sur la raison, il y a de la panique et les décisions que vous prendrez ne pourront pas être appliquées.
Christophe Mouton :
Vous avez été surexposé médiatiquement, publiquement - c'est un euphémisme de le dire. Ça use ou ça stimule ?
Olivier Véran :
Les deux. Il y a la partie initiale, la courbe sur BFM, les premières conférences de presse, quand les gens ont peur mais vous font confiance et se disent : "Ce gars-là, on peut lui faire confiance parce qu'il nous parle." Cette partie-là, c'était une communication facilitatrice.
Ensuite, vous avez de la lassitude, vous avez une deuxième vague, vous avez de l'incompréhension. Les gens trouvent que ça ne va pas assez vite, et il commence à y avoir des commentaires. Les commentateurs, parfois ils ont des blouses blanches, parfois ils n'en ont pas, parfois ils sont bienveillants, souvent ils ne le sont pas. Vous êtes en plus dans un environnement politisé. Au début, les oppositions n'ont pas de prise, il y a une unité nationale, mais l'unité nationale sert plutôt le pouvoir en place et rarement ce qui s'y oppose.
Toutes les brèches vont être identifiées par les uns et les autres pour essayer de vous empêcher de communiquer, parfois même d'agir, ce qui est extrêmement grave puisqu'on parle d'une crise où l'intérêt général devrait primer sur le reste. Ça a été le cas pendant quelques semaines, quelques mois, et ensuite vous l'avez tous perçu, ça a été beaucoup plus compliqué.
Cela ne veut pas dire qu'on a tout bien fait, mais quand on est tous dans le même bateau et que le bateau fonce un peu à la dérive, que vous êtes tous en train de ramer pour arriver à le remettre sur les bons rails, et que vous partagez l'incertitude sur la trajectoire que vous devez prendre... Si une partie de plus en plus importante des matelots commencent à ramer dans l'autre sens en disant qu'on va être précipités dans le mauvais côté, c'est plus compliqué. Les gens n'ont plus la garantie que vous êtes maître de vos moyens.
Christophe Mouton :
Le COVID a montré à la fois les forces de notre système - la capacité à agir, à se mobiliser, l'assurance maladie qui a protégé financièrement les Français - et ses faiblesses. On entend beaucoup dire aujourd'hui qu'on est encore loin du compte sur ce système de santé tel qu'il devrait fonctionner.
Olivier Véran :
On ne sera jamais pleinement satisfait de notre système de santé, de la même manière qu'on ne sera jamais pleinement satisfait de notre système éducatif. Le jour où on le sera, c'est qu'on ne se posera plus les bonnes questions. Qu'on challenge les choses et qu'on veuille aller vers le meilleur, tant mieux.
Par contre, quand on se compare, on se console. On a tous dans notre entourage quelqu'un qui a vécu une partie de la pandémie à l'étranger et qui peut témoigner du fait qu'il devait payer à chaque fois qu'il devait se faire tester, se faire soigner, qu'ils étaient quatre dans les chambres, que c'était beaucoup plus compliqué que chez nous. Notre hôpital a tenu. Il a tenu aussi parce qu'il y a eu la solidarité européenne. On a transféré des malades graves en Suisse, en Allemagne, en Belgique, aux Pays-Bas. À notre tour, on a pris des malades européens lorsqu'ils en avaient besoin. C'est une belle marque de solidarité.
Nous avons un système de santé qui est solide. Mais comme le disait Guilhem, "la santé a remplacé le salut" - elle est devenue un dogme, un mythe, une religion. Elle est aussi devenue une revendication politique.
Il y a un mot que je n'utilise plus, c'est le mot "patient", parce qu'il renvoie au terme passif de celui qui attend qu'on lui apporte une réponse et une solution. Je parle d'usagers du système de santé parce que l'usager a des droits, des revendications et des attentes, il se mobilise pour que sa santé soit meilleure, il a une meilleure connaissance de sa santé. Parce qu'il revendique, cela nous pousse à mettre davantage de moyens.
Les moyens que l'État consacre à la santé n'arrêtent pas d'augmenter et ils continueront d'augmenter. Ils vont non seulement augmenter, mais ils vont aussi se modifier. Aujourd'hui, on a un rapport à la vieillesse qui est en train de se transformer. Si je fais un parallèle : il y a un siècle, lorsque vous aviez un cancer, on vous disait que c'était une forme de fatalité liée à l'usure, à la vieillesse. Aujourd'hui, le cancer est une maladie qu'on combat farouchement avec acharnement, parfois avec succès.
Je considère que nous sommes en train de basculer dans le rapport que nous entretenons avec la vieillesse. La vieillesse est encore considérée comme l'usure du temps, nous accueillons la vieillesse en considérant que la fin de la vie est proche. Or, on oublie des choses. D'abord, les vieux souffrent, ils ont mal. Mes parents ont 80 ans. Quand ils se lèvent le matin, ils ont des douleurs. Avoir mal parce que vous avez un certain âge, ce n'est pas plus normal qu'avoir mal quand vous êtes plus jeune.
Le regard qu'on porte sur nos vieux - je le dis avec tendresse - n'est pas normal. J'ai été d'abord aide-soignant en EHPAD avant d'être neurologue, j'ai consacré toute ma vie aux personnes âgées. On va changer de référentiel, on va vouloir que la vieillesse se passe mieux, vieillir dans les meilleures conditions, lutter davantage contre les maladies qui font mal. On va vouloir repousser les limites de la vieillesse - non pas pour devenir éternel, ce ne sont pas des thèses transhumanistes - mais pourquoi serait-il écrit que la vie devrait s'arrêter à 80 ans ? La vie peut continuer à 100, 110, 120, 130 ans et il y aura des innovations de rupture qui vont permettre de prolonger cette durée de vie dans de bonnes conditions.
Christophe Mouton :
Ce problème de regard sur la vieillesse, n'est-ce pas aussi un problème de la place de la mort et de la perception de la mort dans notre société ? On sait très bien qu'elle est cachée, qu'elle est blacklistée.
Olivier Véran :
La place de la mort dans la société, heureusement qu'elle n'est pas prédominante. Sinon, une société qui ne s'organise qu'autour de la mort aurait du mal à se projeter dans l'avenir. Néanmoins, on est en train de basculer vers une logique de davantage de contrôle de la mort. Le débat sur la fin de vie est intéressant de ce point de vue.
Philosophiquement, ceux qui disent qu'ils veulent mourir ne veulent pas en réalité la mort. Ils veulent que la vie telle qu'ils la connaissent aujourd'hui, qui est une vie de souffrance, s'arrête. Pourquoi ? Parce qu'on ne peut pas connaître ce qu'on ne connaît pas. Vous avez une idée, une croyance de ce qui se passe après la mort, mais en réalité vous ne le savez pas. Vouloir ce que vous ne connaissez pas est impossible à l'esprit humain.
On veut pouvoir davantage contrôler les conditions de la mort, cette volonté de contrôle que je mentionnais en démocratie. À la fois, on veut que les conditions de vie, lorsqu'elles sont trop difficiles et lorsqu'on n'arrive pas à les contrôler, s'arrêtent. Le rapport que nous entretenons à la mort se modifie. Je ne pense pas que la mort prenne une place croissante dans les philosophies occidentales. En revanche, cette volonté de la contrôler, je pense qu'elle est galopante.
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Christophe Mouton :
On parle beaucoup de la problématique des déserts médicaux, la difficulté qu'on a à trouver un interlocuteur. Quelle est la prescription et l'analyse du docteur Véran ? On parle de la régulation de l'installation des médecins. Est-ce que c'est la martingale ?
Olivier Véran :
Non, c'est un pansement sur une jambe de bois. Le médecin que je suis ferait un diagnostic. D'abord, le diagnostic, c'est un plantage des politiques publiques pendant près de 50 ans : l'interdiction de former des médecins en France. Considérant à l'époque, dans les années 60, 70, 80, 90, 2000, 2010 - il a fallu attendre 2018 - que si on diminuait le nombre de médecins, on allait diminuer le recours aux soins et donc les dépenses de santé. Erreur : cela coûte beaucoup plus cher aujourd'hui et on manque de médecins.
Parallèlement, alors qu'on formait moins de médecins, la population vieillit, les maladies chroniques augmentent, les technologies font que cela nécessite plus de temps, et l'exigence des Français au regard de leur santé n'a fait qu'augmenter. Vous avez une réduction de l'offre, une explosion de la demande. Vous n'avez plus de corrélation entre offre et demande, vous créez la rareté, la pénurie et donc la contestation.
L'idée n'est pas de répartir la misère. On a supprimé le numerus clausus, on forme deux fois plus de médecins, on en forme même cette année cinq fois plus que lorsque j'ai fait médecine. Ces nouveaux médecins arrivent, mais il faut 10 ans pour les former.
La question que je pose : est-ce qu'on aura encore besoin de former des médecins dans 10 ans ? Qu'a-t-on sur notre téléphone aujourd'hui ? On a une IA générative, on a déjà ChatGPT. J'ai fait l'expérience la semaine dernière : je suis allé voir un médecin à l'AP-HP très sympa qui m'a pris en charge pour un problème bénin. En parallèle, j'ai fait le suivi avec ChatGPT en lui posant des questions, j'ai fait mon diagnostic, j'ai identifié mon traitement, j'ai fait mon suivi thérapeutique.
Je ne dis pas qu'on va tous basculer du jour au lendemain, mais j'ai déjà vu en neurologie au début des années 2000 des patients arriver qui avaient regardé sur les forums et qui en savaient parfois mieux que moi sur des pathologies pourtant très compliquées. L'IA est en train de révolutionner aussi le rapport à notre santé, tant mieux.
Les études aujourd'hui montrent qu'une étude américaine montre que lorsque vous exposez cinq ou six cas cliniques diagnostiques à 50 médecins généralistes diplômés, ils vont être 20% moins performants que l'IA. Cela veut dire qu'on ne va pas remplacer les médecins par l'IA, mais que toute la médecine va passer par l'IA, de la même manière que quasiment tous les métiers sauf les métiers purement manuels vont être transformés par l'IA. Aujourd'hui, plus personne ne travaille sans utiliser internet, un ordinateur, un smartphone.
L'IA va entrer dans la routine. Cela ne veut pas dire qu'elle va tout écraser, mais qu'elle va nous permettre de gagner du temps, des compétences. Je pose la question : est-ce qu'il est fondamental pour un neurologue demain de savoir où se situe et quelle est la taille d'un micro-os du carpe, alors qu'aujourd'hui il peut avoir accès à la connaissance universelle très simplement ?
Je considère qu'il est probable que d'ici quelques années - la France ne sera pas le premier pays à le faire, le corporatisme est important - mais je ne serais pas surpris que d'ici deux à trois ans, certains pays commencent à former des médecins en cinq ans en insistant davantage sur les relations humaines, sur le suivi thérapeutique.
Les besoins en médecins vont changer. La télémédecine : regardez comme cela a changé quand j'étais ministre. Quand j'arrive ministre, on en faisait 20 000 par semaine, quand je suis parti on en faisait 800 000 par semaine, fois 40. Vous voyez bien que cela répond à une demande. Plutôt ces solutions portées sur l'innovation que les vieilles rustines qui font plaisir aux politiques mais qui ne marchent pas.
Christophe Mouton :
Nous entendons votre appétence, votre croyance pour cette technologie au service du plus grand nombre. Mais vous parliez de l'IA, vous êtes aussi médecin et vous connaissez tous les dangers de l'auto-diagnostic. Est-ce que finalement tout le monde ne va pas se prendre pour un médecin ?
Olivier Véran :
Vous avez toujours une petite partie des gens qui font déjà de l'auto-diagnostic et qui sont très inquiets pour leur santé. Je ne le critique pas, je le constate. Ils se renseignaient déjà beaucoup ou viennent vers vous avec la peur ou la conviction d'avoir une maladie donnée. Cela ne va pas changer.
Je n'ai pas peur de l'accès à la connaissance universelle, c'est formidable. L'IA générative et l'accès à la connaissance universelle... Pour la première fois avec ChatGPT, on peut passer du "faire" au "faire faire". C'est la première fois dans l'histoire de l'humanité que je ne fais pas forcément les choses moi-même mais que je les fais faire par un outil. Je ne suis pas réac ou craintif de ce point de vue. Il faut l'accompagner, il faut vérifier que tout le monde puisse garder sa place dans la société, il faut en tirer des choses positives, c'est indispensable.
La peur que tout d'un coup cela crée des catastrophes, je n'y crois pas. Au contraire, vous allez mieux soigner avec l'IA, vous allez identifier des symptômes précocement. Aujourd'hui, des logiciels informatiques sur Internet vous permettent de dépister des troubles du rythme cardiaque avec beaucoup plus d'avance et de précision que n'importe quel cardiologue super bien formé.
Qu'est-ce qui est important ? Que ce soit le cardiologue qui fasse ce diagnostic ou que vos troubles du rythme cardiaque soient diagnostiqués suffisamment tôt pour qu'on puisse vous éviter de faire un arrêt cardiaque brutal ? On va gagner en espérance de vie, on va gagner en qualité de vie, on va mieux combattre les maladies chroniques. On va avoir des petits outils qui nous disent : "Est-ce que vous avez fait assez de pas aujourd'hui ? Votre tension artérielle est élevée, votre pouls est..."
On est en train de mieux prendre en charge notre santé. Je vais vous citer un auteur qui s'appelle Ivan Illich, qui était plutôt proche du trotskisme, spécialiste des transports, mais qui a écrit un bouquin dans les années 60 qui s'appelle "Nemesis médical". Il fait un constat qu'on peut tous partager aujourd'hui. Il dit qu'en fait, comme on a professionnalisé la médecine et comme on a expliqué que la santé c'était l'affaire de gens dûment formés à l'université, qui avaient des compétences, ce n'était pas l'affaire de la population générale. Ce n'est pas le quidam qui doit s'occuper de sa santé, il doit laisser faire les professionnels.
On a renforcé l'asymétrie entre le soignant et le soigné. Le corollaire, c'est qu'on a privé les Français des compétences et des connaissances indispensables pour mieux maîtriser leur capital sanitaire. Au collège, j'ai appris à disséquer un œil de bœuf, formidable, mais personne ne m'a expliqué pourquoi, si je fumais, cela allait boucher mes artères. Quel était le mécanisme de l'athérome ?
Si l'adolescent a intégré que le tabac va faire des petites blessures dans ses vaisseaux, sur lesquelles quand il va manger des snacks, des fast-foods, cela va créer des plaques de graisse, des croûtes, et que la petite croûte va se détacher à un moment donné quand il sera un peu énervé, va boucher un petit vaisseau et qu'il va se retrouver paralysé... là, cela lui parle un peu plus. Ce retour maîtrisé à davantage de connaissances sur notre santé, je pense que c'est une bonne chose.
Christophe Mouton :
Vous citiez Ivan Illich, qui prédisait aussi les catastrophes sanitaires qui allaient arriver. Je vous répondrai avec la pensée de Victor Hugo : "Nous voulons le progrès en pente douce, sans despotisme ni terrorisme." On voit bien que l'IA a sa part de despotisme et de terrorisme ?
Olivier Véran :
L'IA est introduite de manière bienveillante par certains et de manière excessive et malveillante par d'autres. Quand vous avez Sam Altman, le patron d'OpenAI, qui explique qu'il veut fusionner son intelligence dans le cloud... Qu'est-ce qui se passe quand les grands patrons de ces GAFA auront mis en place des moyens pour vous intégrer dans votre cerveau ? Il n'y aura même pas besoin d'avoir un implant cérébral, mais de fusionner votre intelligence avec l'IA. Combien de temps aurez-vous le choix de ne pas vous faire implanter quand vos collègues de bureau auront été implantés ou auront été augmentés au moyen de l'intelligence artificielle ?
Il est là le danger. C'est là que cela galope trop vite. On franchit un cap, un seuil anthropologique quand on passe de la réparation et de la guérison à l'augmentation. Et surtout quand il n'y a pas de mécanisme démocratique.
J'alerte là-dessus. Je suis passionné par les technologies, par les nouvelles technologies, par la place que peut prendre l'IA aujourd'hui et demain dans les moyens de soigner, par toute cette effervescence industrielle qu'on a. Nous sommes ici au siège de Paris Santé campus qui est le fleuron français de l'innovation en santé. Tout cela est formidable, il faut l'encourager, mais je suis inquiet, même effrayé de voir qu'il n'y a pas de contrôle, de régulation, de prospective, de réflexion poussée par les États face à la vague technologique que certains voudraient faire s'abattre sur nos têtes.
Christophe Mouton :
Vous êtes neurologue. Le cerveau, c'est la dernière Terra incognita.
Olivier Véran :
J'ai fait la neurologie, j'étais dans un bus qui m'emmenait au lycée. Je voulais faire médecine et on m'a mis dans les mains un bouquin d'Oliver Sacks, un grand neurologue new-yorkais.
Christophe Mouton :
"L'homme qui prenait sa femme pour un chapeau" ?
Olivier Véran :
Exactement. J'ai lu ce bouquin qui était au programme de première année à l'époque, il fallait l'apprendre par cœur. J'ai trouvé ça fascinant. C'est un bouquin qui, si on le revisitait aujourd'hui - hélas, paix à son âme car il est mort récemment - contient sans doute beaucoup de choses inventées ou exagérées. Mais c'est un bouquin qui m'a fait découvrir le monde mystérieux du cerveau.
J'avais l'impression en faisant la neurologie d'être à la fois un archéologue et un astronaute. C'est frustrant quand vous êtes médecin parce que les autres collègues disent sans arrêt : "La neurologie, vous ne savez pas soigner les gens." D'abord, c'est de moins en moins vrai avec les nouveaux moyens et méthodes pour soigner. Mais c'est surtout un organe qu'on ne peut pas répliquer aujourd'hui, qu'on ne comprend pas encore complètement, et pour lequel on a toujours besoin de ses mains pour faire les diagnostics. L'examen neurologique a toujours sa place.
La neurologie est l'une des disciplines qu'il sera difficile de remplacer par l'IA. Rendez-vous compte qu'il y a encore quelques décennies, on pensait que le cerveau était une poche de graisse. À l'œil nu, on voit une espèce de poche de graisse qui permettait peut-être d'alimenter une partie du corps. Il a fallu le microscope électronique au 20e siècle pour qu'on découvre ce que c'était que les neurones et qu'on se dise : "Ah oui, c'est là qu'il se passe des choses." Le fonctionnement du cerveau nous est encore globalement inconnu.
Christophe Mouton :
Olivier Véran, vous avez beaucoup parlé de savoir-faire. Mais il y a aussi ce fameux "faire savoir", ce partage. Aujourd'hui c'est important pour vous de le partager à travers des conférences par exemple ?
Olivier Véran :
Bien sûr, c'est génial. D'abord, j'ai toujours aimé les gens. J'ai fait de la politique parce que j'aime les gens. Parfois je dis : j'ai arrêté la politique parce que je veux continuer à les aider. J'aime les gens et j'aime débattre, j'aime convaincre. Parfois j'aime être surpris et j'aime aller à la rencontre de ceux que ça intéresse, pouvoir discuter, débattre dans des conditions qui ne sont pas les conditions classiques du marché où vous allez le dimanche matin pour discuter avec les gens en pleine campagne.
Là on parle de réflexions posées, réfléchies, argumentées, qu'on met sur le papier parfois et que je peux livrer à travers des conférences devant des associations, des entreprises. Parfois il y a 30 personnes, parfois 1000 personnes et c'est toujours passionnant, toujours intéressant.
Parfois on m'interroge sur ce retour sur la crise et comment la gestion de la crise peut informer, instruire et permettre d'accompagner des dirigeants d'entreprises qui feraient face ou qui auraient peur de faire face demain à des crises similaires dans leur domaine. Parfois on m'interroge sur ce regard que je peux porter en étant l'un des seuls politiques neurologues de la planète sur l'impact de ces neurotechnologies. Comment s'en saisir ? Quel est l'impact aussi de l'IA ? J'ai beaucoup travaillé ces questions lorsque j'étais au gouvernement. J'ai même pu rencontrer Sam Altman à l'époque, le fameux patron d'OpenAI, discuter avec des gens très bien.
Ça permet de rendre compte, de discuter. Et puis moi, ça me nourrit, le contact avec les gens. Vous apprenez beaucoup. Toutes les réformes que j'ai pu porter lorsque j'étais député ou ministre, c'est de ce contact avec les gens que j'ai pu les faire. Je crois vraiment à ces rencontres et les conférences sont un bon moyen de rencontrer les gens.
Christophe Mouton :
On a pu voir et entendre en vous écoutant que vous avez une expertise, une connaissance très fine de ce cercle d'innovation, de ces technologies en développement. C'est facile de vulgariser tout ça ? Parce qu'on est quand même dans des éléments de complexité, de technicité.
Olivier Véran :
Si j'ai appris quelque chose non pas avec la politique, mais avec la médecine, c'est que rendre accessible une information complexe, c'est vital. Quand vous êtes neurologue, que vous avez face à vous un patient de 18 ans qui a fait un épisode de paralysie transitoire de quelques jours, mais chez qui vous avez fait un diagnostic de sclérose en plaques - donc vous savez que c'est une maladie qui va entraîner d'autres paralysies, mais aujourd'hui il va bien - face à vous, la sclérose en plaques, pour l'expliquer, c'est compliqué.
D'abord vous faites un schéma - c'est pour ça que j'ai appris à faire des schémas. Vous expliquez ce que c'est qu'une gaine de myéline, ce que c'est qu'un neurone, ce que c'est qu'une maladie auto-immune, pourquoi une inflammation d'un neurone va entraîner des lésions et peut entraîner des symptômes et des déficits. Et donc pourquoi il est important que ce jeune de 18 ans qui est en face de vous - alors qu'il va très bien aujourd'hui - prenne un traitement chronique lourd, parfois avec des effets indésirables, pour préserver son cerveau pour demain.
Quand vous avez appris à vous battre pour être compris par les autres sur des trucs compliqués, en général, après en politique ça se passe mieux. Et dans les conférences, j'ai envie de vous dire que ça roule tout seul.
Christophe Mouton :
Dernière question plus personnelle : un papa ingénieur en informatique, une maman prof d'anglais, qu'est-ce qu'ils vous ont appris ?
Olivier Véran :
Énormément de choses. D'abord, ils m'ont appris qu'on pouvait être en désaccord sur beaucoup de choses mais rester une famille. J'ai 3 frères et sœurs, 2 parents qui ne votaient pas pour la même chose. Quand ils allaient voter, ils disaient : "On va s'annuler."
On avait des débats passionnés sur tous les sujets qui concernaient la société. À la fois religieux, à la fois scientifique, sur tous les sujets que vous pouvez imaginer. C'était parfois des débats très passionnés, comme on peut en avoir dans les familles. Mais à la fin, on restait une famille. Quand le repas était fini, on se prenait dans les bras, on allait regarder un film, on allait faire un jeu de société.
J'ai appris qu'on ne se divise pas autour d'opinions, au contraire, on se réunit. Après, j'ai appris l'amour des sciences, j'ai appris l'amour de la famille. J'ai 2 enfants aujourd'hui auxquels je peux consacrer plus de temps qu'avant. Quand vous êtes ministre, vous ne quittez pas le pays. Là, je prends mes 2 enfants sous le bras quand ils ont des vacances et je leur fais découvrir des grandes villes dans le monde que je n'avais pas pu leur faire visiter auparavant. Ça aussi, ça participe à ce qui me rend heureux et me fait sourire le matin.
Christophe Mouton :
Le monde est grand, la vie est courte. Merci Olivier Véran.
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